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Il n’y avait rien à voir…

Hué-Dong Ha (70k) – Dong Hoi (93k) – Minh Tàn (94k) – Vinh (113k) – Hoàng Mai (72k) – Thanh Hoa (64k) – Thai Binh (92k) – Haïphong (85k)

La route de Hué à Haïphong, base de départ pour Ha Long, s’annonçait avec ses 680km de transition, sans intérêt. Elle s’avérait simplement incontournable pour remonter au Nord Ouest du Vietnam et parvenir par mes propres moyens à m’installer dans cette ancienne place forte de la France coloniale, puis à gagner la capitale du Vietnam Hanoï toute proche. Atteindre la baie d’Ha Long c’est voir se concrétiser son rêve de voyageur. Ce site est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1994 pour ses valeurs paysagères et labélisée en 2000 pour ses particularités géologiques et géomorphologiques. Dans un langage moins technique, la baie d’Ha Long est simplement reconnue par New Open World comme l’une des 7 merveilles naturelles du monde.

La route a tenu ses promesses. J’ai mangé du goudron à grands coups de pédalier par tranche de 90Km à me faire éclater les pneus -le temps des boyaux est bien fini heureusement- agrémentés de poussière, de pluie, de grisaille, de camions, de bus, de bruit, énormément de bruit, bref avec beaucoup de lassitude.

Mais la route reste le lien du voyageur, c’est son ruban de vie, celui qui relie les uns aux autres, la géographie à l’histoire, le temps passé au temps présent.

Ici, l’asphalte est un véritable billard comparé à celui de Nouvelle Zélande. De plus, par chance, le vent orienté du Sud-Est s’est montré bienveillant. J’ai donc « bien roulé », frisant les 20K/h de moyenne malgré mes sacs. Ces étapes m’ont finalement laissé la liberté d’observer la vie autour et devant moi en captant des moments insolites, inouïs, curieux, dangereux, savoureux, merveilleux, qui appartiennent à ce pays.

Je ne résiste pas au plaisir de vous en conter quelques uns.

Les livreurs à deux roues. Ils sont incroyablement ingénieux pour garnir leurs engins d’une montagne d’objets à transporter, fabuleusement adroits pour ne pas tomber dans le déséquilibre consenti, parfaitement sereins d’être, sans le savoir, ces artistes virtuoses de la route en toutes circonstances. J’ai recensé la livraison d’animaux -des poules dans 3 cages en grillage empilées -deux cochons de 40 kg en cages de bambou -des cochons de lait par 10 en cage de ferraille -des chiens et des chiots en cage également. Dans les livraisons végétales, le titre de champion revient au transporteur d’un  gros arbre avec motte de terre, planté au centre de la moto, devant le conducteur . De nombreuses fleurs, plantes vertes, légumes fruits sont installés dans des paniers savamment arrimés à la ficelle en pyramides. Les livraisons de colis de La Poste vietnamienne et ses compagnies concurrentes n’ont pas attendu Uber Eats. Les motos sont parfaitement équipées d’une armature soutenant trois grandes caisses en tissus complétées par 2 sacs latéraux au cas où…Dans les inventions j’ai inventorié un tirant latéral servant à arrimer une charrette à bras ou des paniers latéraux servent de fourre- tout ou dédiés aux pains, poissons selon les lieux. Plus ingénieux encore, une remorque pour les longueurs qui suivent fidèlement la moto, tôles ondulées, montures d’aluminium, de fer, de bois ou cannes à sucre. Les records volumétriques restent cependant l’apanage des récupérateurs de déchets, bouteilles plastiques, cartons ou autres volumes peu lourds mais encombrants. La moto triple alors de volume paraissant en colère jusqu’à prendre toute la largeur de la voie de circulation ! Rien d’étonnant à ce que des milliers de combattants cyclistes aient pu durant la guerre contre les américains, transporter des armes démontées avec leurs vélos sur les pistes de montagne vietnamiennes. Leur mobilité et leur courage a permis aux Viêt Cong d’Ho Chi Minh de triompher de la technologie aérienne destructrice de l’armée américaine.

Les cimetières. Ils occupent une place importante et alignent leur tombeaux en rangs serrés à la périphérie des villes et villages sans démarcations particulières d’isolement. Souvent des sentiers les traversent. Ils sont de différentes confessions mais la majeure partie sont Bouddhistes et célèbrent avec force couleurs, petits hôtel d’offrandes et tombes en granit sculptées, le culte des ancêtres. Quelques uns sont de communauté chrétienne. C’est le cas de celui de Hué qui m’a interpellé, déplacé à 10km avant d’arriver dans la ville. Plus saugrenu, il est fréquent de trouver des tombes au milieu des rizières, sans doute pour se rappeler du paysan qui les a travaillé toute sa vie…

Les églises. Nombreuses au centre et au Nord Ouest, elles font partie de notre héritage. Cultuel tout
d’abord, car  résultat des conversions obtenues par le prosélytisme chrétien enseigné par des prêtres
missionnaires jésuites venus de France dès le XVIème siècle. Architectural ensuite, car elles transpercent
le gris du ciel et marquent le paysage plat des rizières de leurs flèches élancées, souvent surdimensionnées, au regard des petits villages regroupés autour d’elles malgré l’urbanisation routière galopante.

Les mariages. Le mercredi 20 mars était jour de mariage, inscrit comme tel au calendrier lunaire de la fortune et du bonheur. J’en ai dénombré 5 sur mon trajet. Au Vietnam ils sont célébrés en grandes pompes par des agences spécialisées qui mobilisent d’immenses halls réservés aux cérémonies du bisness de l’amour. Dans la plupart des cas, pour réduire le coût, les mariés font appel à des restaurateurs locaux qui mettent à disposition de longs chapiteaux devant leurs restaurants fréquemment situés en bord de route et du trafic. Sono à fond, décorations florales, photos, vêtements de circonstance n’empêchent en aucun cas la vie de se dérouler autour comme si de rien n’était. Hélé au passage, je n’ai finalement pas résisté à photographier la mariée en joyeuse compagnie ce qui m’a valu des boissons de reconnaissance !

Les bruits du travail les plus notables. La visseuse pneumatique de boulons des stations de pneus et le faucard des employés des espaces verts tiennent, comme dans bien d’autres pays, la tête du palmarès. Les avertisseurs de camions au ton grave, gras et répétitif entrent dans votre propre tête et sont à l’origine de votre destruction auditive, les vietnamiens s’expriment d’ailleurs en élevant fortement la voix.

Les rencontres. Les plus belles sont toujours imprévisibles, spontanées, sincères et généreuses. Je pourrais en énumérer beaucoup tant les vietnamiens sont un peuple accueillant. Par exemple dans les stations services, où l’on trouve des toilettes correctes et ,c’est important pour les voyageurs, un salon de jardin qui favorise un moment de détente et l’échange avec le personnel via le traducteur de mon smartphone. Le meilleur exemple demeure sans doute ces  jeunes cyclistes vietnamiens, Diem Nam et Le Van Loc, partis à vélo à la découverte de leur pays  que j’ai rencontrés en difficulté dans les dernières montées de fin de parcours avant Quy Nhon, petit port de la côte, 4 étapes avant Da Nang. Je les retrouverai plusieurs fois sur mon parcours. Nous nous séparerons finalement à Ninh Binh 1000km plus loin, car ils bifurquaient directement pour Hanoï. Ces rencontres ont été l’occasion de dîners en commun et d’échanges sur tous les sujets. Cela restera comme l’un des très bon souvenir du voyage.

Les femmes. Elles sont engagées, dynamiques et  sans doute à la base de cette volonté farouche à faire évoluer le pays vers le haut. Elles interviennent dans tous les secteurs de l’économie avec proéminence et capacité professionnelle. Là où elles s’investissent le plus c’est dans l’éducation de leurs enfants. Elles sont attentives à toutes les situations, protectrices, exigeantes et les transportent à scooter avec attention. Au résultat, cela se traduit par des jeunes bien élevés qui prennent très tôt des responsabilités à différents échelons dans l’organisation économique du pays. Le seul regret c’est qu’emportées par leur quotidien elles ne prennent guère soin de leur image et restent volontiers toute la journée « en pyjama  et croc», plus confortables pour leur travail sans doute, notamment en province.

Les travailleurs publics. Ils sont affectés, femmes comprises, à toutes les tâches de voirie, l’équivalent de routes express à 2 voies dans les deux sens, nettoiement, réparations, jardinage. Ce qui est particulier ici c’est qu’ils interviennent en plein trafic sans aucune protection ni du chantier, signalé souvent par un élément de fortune, bidon, branche feuillue 5m avant, ni propre au personnel, baudriers fluorescents ou autre. Le premier et seul article du code que je connaisse : « fais attention aux autres car ils vont faire n’importe quoi » les protège ! Il en est de même pour les véhicules arrêtés sur une de ces voies, ça va de soi.

L’urbanisation. Elle est galopante le long des routes qui relient les villes entre-elles. Les constructions sont réalisées selon des conditions fiscales qui nécessitent, pour réduire les coûts, de positionner la plus petite largeur des immeubles en façade principale perpendiculaire à la route. L’avantage c’est que l’on peut positionner plus de bâtiments sur les réseaux publics qui desservent l’énergie. Le grand désavantage c’est que cela donne des bâtiments sur 3 ou 4 niveaux, étroits, souvent sans lumière naturelle latérale. Le climat tropical incite à vivre dehors et c’est tant mieux, car la vie à l'intérieur des maisons s’en trouve fortement impactée.

Voilà chers amis, il n’y avait rien à voir, mais je souhaitais partager avec vous toutes ces petites choses que j’ai vues et qui sont ma vie quotidienne ici, « les à côtés » de mon voyage. Maintenant cap sur Hà Long, avec de très belles surprises, mais c’est une autre histoire…